Valérie Pasquier Schaub-Golaz : Là où l’image devient langage

Certaines personnes écrivent avec des mots, d’autres avec la lumière.
Pour Valérie Pasquier Schaub-Golaz, membre de la communauté Street Photography France, la photographie est bien plus qu’un art : c’est une manière de dire ce que les mots ne savent pas formuler. Héritée d’un père photographe, sa passion est devenue une nécessité, un langage intime forgé dans le silence des rues du monde.

Des favelas brésiliennes aux ruelles vietnamiennes, son regard se pose toujours à hauteur d’humanité. Elle marche beaucoup, observe longuement, et laisse les rencontres se dessiner d’elles-mêmes. Son univers, souvent en noir et blanc, capte l’essentiel : la simplicité d’un geste, la dignité d’un visage, la beauté fragile du quotidien. Chez elle, rien n’est volé : tout est reçu.

Autodidacte, curieuse, profondément respectueuse de ceux qu’elle photographie, Valérie poursuit une démarche sincère, à la croisée de l’art documentaire et du témoignage sensible. Dans cet entretien, elle évoque sa façon d’habiter la rue, de transformer le réel en récit visuel, et d’inventer, photo après photo, un langage fait d’instants et de lumière.

On pose les questions à Valérie …

Dans cette interview, Valérie partage avec nous son parcours photographique.

SPF : Comment avez-vous découvert la photographie de rue ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : J’ai toujours fait de la photo depuis mon enfance car mon père était photographe, mais je ne me servais de mon appareil que pour des photos de famille et ensuite comme documentation visuelle dans mon travail. C’est en amenant mes enfants à l’école à Montpellier que, sur nos parcours, j’ai découvert le Street Art et à partir de là, je l’ai documenté avec une petite équipe sur différents supports, dont un livre. J’ai toujours aimé les médiums artistiques, mais surtout regarder. Écrire, pour moi, est difficile et j’aime garder des souvenirs. À partir de ce moment, j’ai regardé la ville d’une autre façon et j’ai commencé à photographier plus en profondeur. Je ne savais pas que je faisais de la photographie de rue, mais c’est devenu une nécessité.

SPF : Depuis combien de temps pratiquez-vous la photographie de rue ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : J’ai décidé de m’y mettre totalement depuis douze ans. Tout a commencé au Brésil, où je suis partie vivre avec ma famille en partant seulement avec une valise, mon mari étant muté là-bas. Je me suis équipée juste avant de partir.

SPF : Avez-vous suivi une formation en photographie, ou êtes-vous autodidacte ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : Je suis autodidacte. J’ai appris les bases avec mon père. Nous avions un labo photo dans le grenier et il m’a vite offert un appareil photo. J’ai ensuite eu un cours de deux ans dans un collège à Avignon avec de la photographie sur diapositive et une formation aux Beaux-Arts d’Aix-en-Provence. J’ai créé ensuite chez moi un petit labo argentique pour développer mes tirages. J’ai suivi plusieurs formations avec d’autres photographes en France et à l’étranger. J’ai appris la retouche en autodidacte et je me forme aussi avec YouTube. Je me suis formée avec une galerie pour exposer mes tirages.

SPF : Quel matériel utilisez-vous pour la photographie de rue (appareil photo, objectifs, accessoires, etc.) ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : Aujourd’hui je travaille en numérique, l’argentique devenait trop cher. J’ai commencé avec un tout petit appareil Nikon 1. Aujourd’hui, j’ai un Nikon 6 avec quelques objectifs fixes et un Sony 6000. J’utilise un smartphone pour mes repérages, un pied photo que j’utilise très peu — mais aucun flash. Un sac à dos classique suffit.

SPF : Avez-vous un équipement préféré pour la photographie de rue, et pourquoi ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : Je marche beaucoup, alors quand je prépare mon sac, je le réduis au maximum. J’utilise le plus souvent un 26 mm pour capturer des scènes de vie, pour la rigueur dans la composition, pour éviter la déformation et avoir une photo plus narrative. Il me permet d’entourer mon sujet et d’avoir une ambiance plus ample de la rue. J’utilise aussi depuis peu un 40 mm et j’ai également un 35 mm. Je change parfois d’objectifs pendant plusieurs mois pour modifier mon approche de la rue.

SPF : Comment définiriez-vous votre style en photographie de rue ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : Positif, sincère, authentique, curieux, humain, simple, surtout en noir et blanc. Je pense en noir et blanc, c’est une démarche. J’essaye de me dire que le résultat pourrait être accroché à un mur ou documenter un moment. J’utilise le noir et blanc car je le trouve intemporel et chic, et il élimine la distraction. Pour moi, si j’utilise une photo que je classe dans la catégorie photographie de rue, elle ne doit pas être truquée ni pensée à l’avance, sinon elle devrait appartenir à une autre catégorie. Je photographie aussi en couleur, mais pour d’autres raisons.

SPF : Y a-t-il des photographes de rue qui vous inspirent ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : Tout ce qui m’entoure m’inspire, surtout les personnes autour de moi. Robert Frank — ce livre était toujours posé sur la table basse chez mes parents —, Elliott Erwitt, Vivian Maier, Josef Koudelka, Henri Cartier-Bresson, William Klein, Sian Davey, Martin Parr et, plus largement, toute la photographie en général.

SPF : Pouvez-vous partager une de vos photos de rue préférées et raconter son histoire ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : Difficile… mais souvent, je montre ma photo aux personnes que je photographie, et j’ai de très beaux souvenirs de ces échanges et de leurs sourires. Quand je les regarde ensuite sur mon ordinateur, je les apprécie davantage. En voici une : cette femme vietnamienne que j’ai prise depuis la rue pendant la nuit alors qu’elle se trouvait derrière sa porte. Je l’avais déjà vue un autre soir. C’est elle qui m’a fait signe pour que je la photographie. Elle me sourit. Derrière elle, on aperçoit aussi la photo de son mariage accrochée au mur. C’est une photo que je ne souhaite pas retoucher.

SPF : Quels sont les défis auxquels vous êtes confrontée en pratiquant la photographie de rue ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : J’ai eu à plusieurs reprises des problèmes avec mon appareil photo dus à la chaleur et à l’humidité. J’ai pris des risques pour photographier dans des favelas au Brésil et je devais toujours faire attention à ne pas me faire voler mon sac à dos. J’ai parfois trop marché pour découvrir les villes et je me suis retrouvée à en oublier de manger, presque à m’évanouir, ou perdue dans des ruelles ou des lieux insalubres. Maintenant, le smartphone m’aide beaucoup. J’ai aussi perdu une carte mémoire !
Un autre défi a été de réussir à avoir une photo nette d’une personne en mouvement roulant sur un scooter, tout en photographiant quelque chose qui me plaise pour ma série.
Mon défi actuel est de classer mes photos et de bien les sauvegarder.

SPF : Pouvez-vous partager une expérience mémorable que vous avez vécue tout en faisant de la photographie de rue ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : J’étais dans une favela. Je descendais une ruelle et j’allais faire une photo d’un homme qui la remontait en face de moi, quand je me suis aperçue que son regard était noir et qu’il avait un poing américain dans la main. J’ai vite caché mon appareil et regardé ailleurs !

SPF : Comment gérez-vous les questions d’éthique liées à la photographie de rue, en particulier en ce qui concerne la vie privée des sujets ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : Dure question. J’ai appris petit à petit. Il faut rester humble. Je ne photographie plus la misère. Je me montre, je tourne souvent longtemps sur le même lieu, ce qui fait que je ne suis plus transparente. Je suis toujours assez près, ce qui permet en général aux personnes de pouvoir accepter ou refuser ma photo, ou de venir discuter avec moi. Mon appareil est un outil de lien, il me permet d’être plus proche des gens. Je vais parfois simplement leur faire un signe, ce qui me permet ensuite d’avoir aussi des contacts avec eux et de leur expliquer mon travail. Je montre souvent, si j’ai le temps, le résultat sur mon écran après avoir fait une photo à la volée. Je ne photographie pas si la photo pourrait être dégradante pour la personne.
Dans certains cas, j’aurais aimé pouvoir offrir la photo sur le moment, mais je n’ai pas le matériel pour cela. Je donne ma carte de visite si on me la demande et j’envoie la photo par mail.

SPF : Avez-vous déjà eu des situations délicates en photographie de rue et comment les avez-vous gérées ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : À mes débuts, j’ai eu un échange un peu vif. J’ai photographié une personne dans un parc pour sa position sur la chaise ; elle m’a vue et m’a demandé d’effacer cette photo. C’était de l’argentique, elle voulait que je sorte la pellicule et que je lui donne. J’ai discuté avec elle. Je lui ai dit que je n’utiliserais pas sa photo, ce que j’ai fait… et je suis partie en courant ! Dans certains pays, il faut aussi s’adapter à chaque lieu.

SPF : Quels conseils donneriez-vous aux débutants qui souhaitent se lancer dans la photographie de rue ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : Se poser la question de savoir si c’est vraiment son moyen d’expression. De mon côté, j’ai un grumeau existentiel avec une difficulté à m’exprimer avec les mots, avec la fluidité de mon langage.
De toujours avoir son appareil photo sur soi et de sortir le plus possible, même si le temps n’est pas favorable. Bien connaître son appareil, tenter de nouveaux réglages, être exigeant, mais surtout se faire plaisir. Savoir se remettre en question. La photographie de rue m’a appris la patience que je n’avais pas avant. Et surtout, avoir ses propres intentions.

SPF : Avez-vous des recommandations pour développer sa créativité en photographie de rue ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : Je me suis souvent retrouvée seule à arpenter les villes, ce qui me permet d’aller librement où je veux, mais cette solitude est parfois difficile pour se remettre en question et faire de nouveaux essais. Je conseille de faire de temps en temps des cours, des formations, de faire partie d’un club photo et surtout de rencontrer d’autres photographes. Faire des tirages papier, organiser des expositions, travailler avec un bon labo photo.
Ce que j’aime dans la photo de rue, c’est son authenticité et tous les petits détails qui demandent de l’attention — il faut donc bien regarder tout autour de soi. Aller à des expos photos et regarder des livres d’art en général. Ma principale source de créativité est de mettre la femme à l’honneur.

SPF : Avez-vous des projets ou des objectifs futurs en photographie de rue que vous aimeriez partager ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : J’ai rassemblé une série faite à Ho Chi Minh, Au milieu des deux roues, et j’aimerais bien avoir un avis extérieur pour pouvoir avancer.
Je travaille sur une exposition intitulée À travers le rickshaw (Inde).
J’ai une exposition déjà encadrée que j’ai commencée en 2018 et que j’agrandis au fil des années : Dos libres. J’essaie de l’exposer. J’aimerais remplir un mur entier avec ce sujet qui regroupe uniquement des photos de dos de femmes prises dans le sud de la France.
J’ai aussi photographié des portraits de femmes souriantes au Vietnam et mon objectif serait de les rassembler dans un projet. Participer à nouveau à des concours photo, mais surtout m’impliquer davantage dans la rue. Je cherche à regarder les femmes autrement : c’est une façon d’exister ensemble, un instant d’égalité dans le regard. C’est aussi réinventer la façon dont nous sommes vues. Dans la rue, j’essaie de faire de ce geste un acte simple, mais libre.
Si j’avais plus de moyens, j’aimerais imprimer mes tirages en grand format et peindre aussi dessus. Et avoir plus d’opportunités pour montrer mon travail.

SPF : Prévoyez-vous de participer à des expositions ou des publications prochainement ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : Je travaille pour un magazine papier au Vietnam. Je suis sur un projet pour mon deuxième livre, toujours en noir et blanc. C’est sans doute mon côté fashion. Je recherche une autre photographe sur Sète et sa région pour faire une exposition à deux ou dans un collectif.

SPF : Comment avez-vous rejoint Street Photography France ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : Je vous ai découverts par internet quand j’étais à l’étranger. À mon retour, je voulais reprendre confiance et me motiver sur de nouveaux projets. Je trouve difficile de revenir de pays asiatiques ou étrangers et de photographier à nouveau en France ou dans mon village. Je recherchais une communauté qui partage ma passion. J’ai commencé par regarder vos interviews, je me suis ensuite inscrite à un workshop à Paris. J’ai rencontré des membres et je me suis décidée dès que j’ai eu le temps de lire le site.

SPF : Quels avantages trouvez-vous dans l’appartenance à cette communauté ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : J’en suis ravie. J’ai longtemps souhaité faire partie d’un groupement de photographes de rue et seulement de la rue. J’adore regarder votre chaîne et les reportages sur les membres, je trouve ces vidéos incroyables. J’ai pu participer à un workshop où j’ai rencontré Nijat Kazimov et d’autres photographes. Je prépare ma page pour utiliser votre service de vente de photos imprimées. Je découvre Discord grâce à vous.
Je me motive pour les concours, ce qui me permet d’explorer mes photos. Je découvre de nouveaux photographes. J’aime aussi beaucoup l’état d’esprit et la bienveillance du groupe. Je trouve très important que notre communauté soit en langue française et j’espère que l’anglais ne viendra pas s’y glisser. L’édition, vos articles, les expositions collectives : tout cela me motive. J’aimerais aussi rencontrer des photographes près de chez moi.

SPF : Avez-vous des projets ou des idées pour renforcer la communauté de Street Photography France ?
Valérie Pasquier Schaub-Golaz : Je continue de découvrir cette communauté et de me dire à chaque fois qu’elle est incroyable. J’apprécie toute sa démarche. Je vais chaque année aux Rencontres d’Arles et j’aimerais bien que la photographie française y soit plus représentée, surtout notre communauté. Il est possible de louer des lieux dans la ville et de participer au Off.
Je pense qu’il est aussi important d’avoir plus de visibilité en tant que femmes : elles font aussi de la photographie de rue.

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