Kevin Delajoud ou l’art d’écrire avec les lignes de la ville

Dans ses images, la ville devient un terrain de composition. Kevin Delajoud observe les lignes, les ombres et les formes avec une attention quasi architecturale. Autodidacte passionné, il explore depuis une dizaine d’années les espaces urbains pour en révéler la structure graphique et la poésie silencieuse. Loin des clichés spontanés et humanistes qui caractérisent souvent la photographie de rue, sa pratique repose sur la réflexion, la précision et une esthétique maîtrisée. Entre architecture, science-fiction et noir et blanc, il développe une écriture visuelle singulière qui transforme l’ordinaire en scènes puissantes et construites.

On pose les questions à Kevin …

Dans cette interview, Kevin Delajoud partage avec nous son parcours photographique.

SPF : Comment avez-vous découvert la photographie de rue ?
Kevin Delajoud : J’ai découvert la photographie urbaine par le biais de rencontres photographiques. Au départ, j’étais plutôt attiré par l’architecture, avant de progressivement m’intéresser à la photographie de rue. Néanmoins, c’est bien ce mix des deux qui est au cœur de ma pratique aujourd’hui. Mon approche résulte systématiquement d’une forte composante graphique. C’est généralement le repérage d’une géométrie particulière, d’un jeu de lumière, ou de lignes fortes qui vont déclencher l’idée du cliché.

SPF : Depuis combien de temps pratiquez-vous la photographie de rue ?
Kevin Delajoud : J’ai débuté la photographie il y a une quinzaine d’années, et la photo de rue il y a une dizaine d’années. Mais j’ai mis en pause ma pratique photographique pendant près de 5 ans pour diverses raisons personnelles. Cela fait maintenant 2 ans que j’ai repris plus activement.

SPF : Avez-vous suivi une formation en photographie, ou êtes-vous autodidacte ?
Kevin Delajoud : Je suis complètement autodidacte. Je me suis formé par des lectures, l’observation de photographies, et beaucoup d’essais.

SPF : Avez-vous un équipement préféré pour la photographie de rue, et pourquoi ?
Kevin Delajoud : J’ai longtemps utilisé un Canon 7D, et j’ai basculé récemment sur un hybride avec un R7. Je voulais rester chez Canon pour réutiliser mon parc d’optiques. En optique, j’utilise principalement un Tamron 17–55, et occasionnellement un Canon 70–200. Je reconnais que je ne suis ni un adepte de matériel, ni de technique. Donc je change peu souvent une fois que je suis à l’aise avec un équipement.

SPF : Comment définiriez-vous votre style en photographie de rue ?
Kevin Delajoud : Je ne sais pas si j’ai « un » style, mais la ligne directrice de mon travail reste la géométrie et le graphisme. Je suis constamment à la recherche de formes urbaines. Je dirais que je recherche tout d’abord une esthétique. Cela va passer par des lignes fortes, des contrastes, des jeux d’ombres et de lumière, des silhouettes. Je travaille principalement en noir et blanc. Cette approche permet de renforcer le caractère minimaliste, jouer sur les contrastes et renforcer la dimension graphique. Il y a quelques clichés qui s’imposent néanmoins en couleurs dans ma galerie. En dehors de la photographie, je suis un grand fan de science-fiction (littérature, film, etc.), et je crois qu’indirectement, cela influence également mon travail. J’aime jouer sur des pertes de repères, spatiales et temporelles. La plupart de mes séries ont d’ailleurs un titre en lien avec un ouvrage de science-fiction.

SPF : Y a-t-il des photographes de rue qui vous inspirent ?
Kevin Delajoud : Il y en a beaucoup, notamment dans les membres d’honneur de SPF. Je crois que l’un des premiers a été Eric Forey et ses clichés mêlant architecture et street. Tout comme Kai Zhiel, un photographe allemand. Je suis un grand fan du travail de Nina Papiorek qui excelle dans les clichés de street minimaliste, mais également de Mark Fearnley et Alan Schaller. Et pour clôturer par un autre Lyonnais, membre de SPF, Laurent Licari qui fait du super travail.

SPF : Pouvez-vous partager une de vos photos de rue préférées et raconter son histoire ?
Kevin Delajoud : Cette photo a une résonance particulière parce que mon fils aîné est dessus. À 3 ans, j’ai voulu l’emmener avec moi en sortie photo pour lui faire découvrir ma passion, et en rentrant d’une balade, nous sommes passés devant l’entrée du parking souterrain d’un supermarché. La structure offrait ce superbe jeu de lumière. Je lui ai donc demandé de descendre et j’ai déclenché. Cela résume bien mon travail je crois : un lieu complètement dénué d’intérêt peut offrir une image forte (car c’est l’une de mes photos préférées).

SPF : Quels sont les défis auxquels vous êtes confronté en pratiquant la photographie de rue ?
Kevin Delajoud : Je dirais la volonté de ne pas refaire les clichés qu’on a déjà vus 1000 fois. Je recherche toujours à développer ma créativité et à proposer un « autre regard » sur l’univers urbain et de la rue. Il serait facile de se diriger vers les lieux « emblématiques ». Je suis au contraire dans une approche opposée, où je cherche à valoriser ce que personne ne regarde. En ce sens je pense m’éloigner d’une certaine vision de la photo de rue humaniste et spontanée. Chez moi, tout est très calculé, et c’est tout l’environnement urbain, en interaction avec l’être humain, qui m’intéresse.

SPF : Comment gérez-vous les questions d’éthique liées à la photographie de rue, en particulier en ce qui concerne la vie privée des sujets ?
Kevin Delajoud : J’ai parfois été interpellé par des passants, mais après leur avoir expliqué ma démarche, cela s’est toujours bien passé. De façon générale, je porte une attention particulière à préserver la vie privée des sujets, quels qu’ils soient.

SPF : Avez-vous des recommandations pour développer sa créativité en photographie de rue ?
Kevin Delajoud : Tester, essayer, et se renouveler. Et puis observer surtout. Depuis que je fais de la photographie, je suis beaucoup plus attentif à ce qui m’entoure.

SPF : Avez-vous des projets ou des objectifs futurs en photographie de rue que vous aimeriez partager ?
Kevin Delajoud : Déjà continuer de me faire plaisir, car la photographie est avant tout une activité que je fais pour moi. Et continuer de développer mes séries. Je crois que mon projet ultime serait d’éditer un livre pouvant matérialiser mon travail.

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