Découverte et Réflexions : L’Art de la Rue à Travers l’Objectif de Vincent Delcourt

Dans une entrevue avec Vincent Delcourt, un photographe de rue passionné basé à Tours, rencontre son parcours unique depuis ses débuts autodidactes jusqu’à ses inspirations profondes dans l’univers de la photographie de rue.

On pose les questions à vincent…

Dans cette interview, Vincent Delcourt partage avec nous son parcours photographique.

SPF : Comment avez-vous découvert la photographie de rue ?
Vincent Delcourt : C’est une bonne question et j’aurai bien du mal à répondre précisément. Je pense que j’ai découvert ce type de photo d’une manière très instinctive. J’ai commencé par photographier des membres de ma famille lorsque l’on se réunissait ou simplement comme ça, sur le vif et à la volée. Les regards captés m’ont fasciné, les gestes et les attitudes. Les images reflétaient le naturel et je crois que j’ai eu envie de chercher à retrouver ça ailleurs que dans mon cercle proche. Petit à petit, je suis sorti de ma zone de confort pour aller plus loin, jusque dans la rue. Je me lançais des défis, j’essayais de prendre des risques pour capter des scènes quotidiennes mais aussi des choses plus inattendues. Je voulais construire des images avec des émotions, de l’intensité, des histoires. J’ai la chance de travailler sur un projet à l’étranger dans plusieurs capitales ; ça m’a permis de beaucoup expérimenter dans la rue notamment dans des villes comme Istanbul et Ankara dans lesquelles j’ai passé beaucoup de temps. Il m’a semblé plus facile de photographier ces rues car les gens sont curieux, moins méfiants.

SPF : Depuis combien de temps pratiquez-vous la photographie de rue ?
Vincent Delcourt : Je dirais 3 ou 4 ans avec plus ou moins de régularité au début.

SPF : Avez-vous suivi une formation en photographie, ou êtes-vous autodidacte ?
Vincent Delcourt : Au début j’ai commencé d’une manière complètement autodidacte. Ça n’a pas été simple et je m’y suis repris à plusieurs fois avant d’avoir le « déclic » ! J’ai beaucoup expérimenté, et je me suis intéressé aux grand noms de la photographie pour progresser. Il y a un peu plus de 2 ans, j’ai rencontré Christophe di Pascale, un grand photographe avec qui je me suis lié d’amitié. Christophe avait un cancer incurable et m’a proposé de documenter son quotidien dans l’objectif de faire un livre sur sa maladie. Pendant 2 ans, il m’a appris beaucoup de choses en photo documentaire/reportage mais aussi sur la photo en général. Le livre, intitulé « CANCER – dans l’intimité d’un voyage singulier » est sorti peu de temps avant sa mort en septembre 2023. Christophe y parle de sa maladie d’une manière personnelle mais aussi universelle avec parfois une bonne dose d’humour ! On y trouve une quinzaine de ses photos d’archive ainsi qu’une sélection des photos que j’ai faites durant ces 2 années, que ce soit à l’hôpital pour ses chimiothérapies, scanners ou tout simplement chez lui.

SPF : Quel matériel utilisez-vous pour la photographie de rue (appareil photo, objectifs, accessoires, etc.) ?
Vincent Delcourt : J’ai beaucoup photographié avec un boitier Sony hybride et un objectif 24-70 mm (qui restait 95% du temps sur 24mm !). J’ai pas mal utilisé un 17-35 mm et le 14-24 mm qui oblige à se rapprocher pour « rentrer » dans la scène que l’on capture. J’ai aussi un petit Lumix avec un capteur micro 4/3 sur lequel je monte un 12 mm ou un 12-35mm. Vous l’aurez compris, j’aime le grand angle et la proximité avec mon sujet !

SPF : Avez-vous un équipement préféré pour la photographie de rue, et pourquoi ?
Vincent Delcourt : Le Lumix, léger et maniable est assez discret et « effraie» moins les gens si je puis-dire ; je trouve que les visages gardent un peu plus de naturel qu’avec un plus gros boitier. Cependant, moi qui aime photographier en basse lumière, utiliser les ombres, le Sony s’en sort un peu mieux, garde du détail dans les noirs et permet des très grands tirages.

SPF : Comment définiriez-vous votre style en photographie de rue ?
Vincent Delcourt : Pour commencer, j’aime la vie quotidienne, l’anodin. Il y a quelque chose de touchant dans ces scènes que l’on voit sans voir en réalité. Le bon timing dans une attitude, un regard, un mouvement, combiné à la bonne distance, le bon angle et la bonne composition est déterminent pour mettre en valeur un geste, une émotion, une histoire, un regard. Je ne suis pas très adepte du flou d’arrière plan (pour l’instant) mais plutôt, par l’utilisation du grand angle, d’une photo nette partout et de la composition avec du contexte. J’aime donc remplir l’image avec du détail tout en plaçant l’être humain comme LE sujet de ma photo. Pour résumer, dans le banal, je cherche ce qui va permettre de rendre l’image pertinente, forte et peut-être unique.

SPF : Y a-t-il des photographes de rue qui vous inspirent ?
Vincent Delcourt : Oui bien sûr ! Je pense tout de suite à Michael Ackerman pour sa capacité à prendre des risques lors de ses prises de vue, le grain et les noirs de ses tirages. Marc Riboud pour la douceur de ses compositions et Harry Gruyaert pour ses couleurs extraordinaires. Pour finir, Reza Deghati qui fut le premier photographe dont j’ai acheté le livre. J’aime ce qu’il raconte sur ses sujets, sa propre histoire comme la beauté de son pays.

SPF : Pouvez-vous partager une de vos photos de rue préférées et raconter son histoire ?
Vincent Delcourt : Ça se passe à Istanbul dans Beyoğlu, un quartier plutôt aisé. Je rentre après une longue journée de photos et entre dans une petite rue pavée, à forte pente. Cette rue, ça fait plusieurs fois que je passe devant et que je me dis que je devrais l’emprunter ; alors j’y vais. Je remarque tout de suite la vétusté du lieu de part l’irrégularité de ses pavés, les trous et les appartements plus ou moins en ruine qui bordent toute sa longueur. La pente y est très forte, comme à de nombreux endroits dans cette partie européenne de la ville. J’aperçois un enfant qui semble pauvre et qui erre près d’une entrée qui ressemble à celle d’une vieille grange. Elle ouvre sur une sorte de stand de tir poussiéreux. Des ballons multicolores sont accrochés au fond et servent de cibles. Ma première idée était que ce gamin de 7 ans environ travaillait là et s’occupait de ce stand de tir. On voit relativement souvent des enfants qui aident leur parent en travaillant en Turquie. Malgré tout, l’occasion de faire une photo ne se présente pas et j’essaie d’autres choses pas vraiment concluantes… Après quelques minutes, je continue de remonter la rue et tombe face à une scène surréaliste : le petit avec un autre jeune à peine plus âgé que lui, tous les deux assis par terre en train de manger dans un sac poubelle éventré, à même le sol. Deux yeux implorant la pitié se tourne alors vers moi. Toujours choqué, je réfléchis quelques secondes puis fais une photo, une seule. Ils me demandent de l’argent et machinalement je leur tends quelques billets mais leurs visages attristés restent figés. Je repars et tourne un peu plus haut sur le droite, pour me retrouver dans une rue pleine de commerces et de touristes : le changement est radical, sans transition, presque. Toujours sous le coup de l’émotion, je décide de ne pas en rester là et achète 2 grands verres de jus d’orange fraichement pressés et revient en arrière. Je finirai par retrouver ces 2 jeunes en bas de cette petite rue cabossée en train de donner leur maigre butin à des ado un peu plus âgés. Devant mes yeux un peu naïfs, je me dis voilà encore des gosses pris dans un réseau… J’avance vers eux, leur tends les deux jus d’oranges et je vois enfin leur visages changer, s’illuminer et les sourires enfin apparaître ! C’est l’image que je garderai en moi. J’aime beaucoup la photo que j’ai faite. Elle est dure mais montre une réalité que beaucoup esquive. C’est une manière de redonner la parole à ceux qu’on oublie.

SPF : Quels sont les défis auxquels vous êtes confronté en pratiquant la photographie de rue ?
Vincent Delcourt : Le premier défi est la peur d’oser photographier, et cela, sans demander de permission pour garder la spontanéité, le naturel de la scène devant soi. J’essaie de me rapprocher au maximum et ça n’est pas toujours facile ! Mais c’est un exercice essentiel pour que la photo soit immersive. De temps en temps, ça crée un échange avec les gens que je photographie et j’aime beaucoup ces moments. Trouver le bon angle n’est pas facile non plus car tout va très vite dans la rue. Parfois on se précipite pour ne pas manquer le bon moment et on oublie de chercher le meilleur angle, et la photo est moins bonne.

SPF : Pouvez-vous partager une expérience mémorable que vous avez vécue tout en faisant de la photographie de rue ?
Vincent Delcourt : A Ankara, je marchais le long d’une 2 fois 2 voix pas loin de la gare routière du quartier populaire d’Ulus. Un peu plus loin il y avait des collines sur lesquelles je voulais monter pour faire quelques prises de vue d’une autre partie de la ville. En marchant, j’aperçois un type de l’autre côté de la route qui me regarde ; je lui fait signe et il me répond. Je décide alors de traverser voyant qu’il paraissait seul à coté d’un « gecekondu » littéralement « maison construite en une nuit » entendez par là un bidon-ville. Arrivé jusqu’au lui, nous commençons à parler ; il a une soixantaine d’année et il me dit qu’il craint de ne pas pouvoir garder sa maison ; je lui demande si justement nous pouvons aller la voir. Il est d’accord et nous nous approchons du lieu. Je fais tout de suite une photo, plan large avec lui devant sa porte. Il m’invite à rentrer (les turcs ont un grand sens l’hospitalité) et nous arrivons dans un endroit où tout est noir, je n’y vois presque rien. Nous montons un escalier et là, un type énorme surgit de je ne sais où et crie après moi ! J’ai beau prétexter que je n’ai pas fait de photo de lui, il me dit clairement de dégager et je comprends qu’il vaut mieux faire ce qu’il dit ! Je pars donc rapidement, sors de la maison et vérifie que je ne suis pas suivi. Je marche un peu et fait quand même une photo du chemin qui mêne au « gecekondu » car la lumière est très belle… Une petite frayeur quand même !

SPF : Comment gérez-vous les questions d’éthique liées à la photographie de rue, en particulier en ce qui concerne la vie privée des sujets ?
Vincent Delcourt : Quand je photographie dans la rue, je suis toujours bien visible et « je m’impose ». Les gens sont donc au courant que je « shoot ». Ça amène souvent à la discussion et je suis transparent, j’explique ma démarche et montre les photos si nécessaire. Si une personne ne se sent pas à l’aise avec son image, j’efface la photo, c’est le jeu ! Bien souvent j’envoie la photo à la personne et si je souhaite la publier, je lui demande son accord. Il m’arrive aussi de publier sans l’accord si la personne a bien vu qu’elle était prise en photo et que je n’ai senti aucun malaise et surtout qu’elle n’est pas dévalorisée sur l’image.

SPF : Avez-vous déjà eu des situations délicates en photographie de rue et comment les avez-vous gérées ?
Vincent Delcourt : Pour le moment ça ne m’est jamais vraiment arrivé mis à par l’épisode d’Ankara. Tant qu’on est respectueux, qu’on explique sa démarche et qu’on est prêt à jouer le jeu à savoir effacer la photo en cas de désaccord, les situations peuvent s’arranger. Une fois, j’ai photographié un type qui vendait des livres dans une sorte de forum à l’extérieur ; il n’était visiblement pas content de ce que je faisais, m’a demandé de voir les photos puis m’a demander d’effacer, ce que j’ai fait. Les photos n’étaient en plus pas terribles donc pas de regret !

SPF : Quels conseils donneriez-vous aux débutants qui souhaitent se lancer dans la photographie de rue ?
Vincent Delcourt : Le premier conseil serait « osez » sortir de votre zone de confort, déambulez au hasard, provoquez la chance et faites beaucoup de photos. Expérimenter c’est comme un entraînement, ça demande de la répétition. Photographiez des gens mais aussi d’autres éléments comme des bâtiments, des objets etc. La géométrie est très présente dans nos rues, partout, il y a de quoi faire. Ensuite il faut être curieux de ce que les autres photographes font, ça aide beaucoup ; il faut se faire une culture de l’image car ça nous permet d’être plus créatif. Parlez avec les gens, expliquez votre démarche, soyez sincère et soyez vous-même.

SPF : Avez-vous des recommandations pour développer sa créativité en photographie de rue ?
Vincent Delcourt : Faites beaucoup de photos et inspirez-vous des grands photographes comme des moins connus. Arpentez les rues, prenez le temps de regarder ce qui vous entoure, les formes, les couleurs, le mouvement et soyez patients.

SPF : Avez-vous des projets ou des objectifs futurs en photographie de rue que vous aimeriez partager ?
Vincent Delcourt : Actuellement je travaille sur une série de photos que je réalise entre la fin de journée et la tombée de la nuit. J’aime quand, dans la ville, les éclairages artificiels s’invitent aux dernières lueurs du jour. Tout est plus calme ; les gens font une balade, promènent leur chiens, sortent du travail ou rentrent chez eux.. c’est un moment transitoire que j’aime beaucoup.

SPF : Prévoyez-vous de participer à des expositions ou des publications prochainement ?
Vincent Delcourt : Depuis Octobre 2023, j’ai une exposition visible au conseil citoyen d’Ankara sur le travail traditionnel ankariote à l’occasion du centième anniversaire de la république de Turquie et d’Ankara comme capitale. Ce travail fait partie d’un projet de recherche de la sociologue franco-turc, Gulçin Erdi, sur les villes capitales. Une grande exposition illustrant ce projet aura lieu en 2025.

SPF : Comment avez-vous rejoint Street Photography France ?
Vincent Delcourt : J’ai découvert Street Photography France sur Instagram par l’intermédiaire d’un ami photographe, Pascal Andréani, que je connais depuis longtemps.

SPF : Quels avantages trouvez-vous dans l’appartenance à cette communauté ?
Vincent Delcourt : C’est pour moi une nouvelle occasion de découvrir le travail de nouveaux photographes, d’échanger et de participer à des rencontres.

SPF : Avez-vous des projets ou des idées pour renforcer la communauté de Street Photography France ?
Vincent Delcourt : Pas encore mais je vais d’abord prendre le temps de mieux connaître cette communauté et les outils de Street Photography France …

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